Il entendait les pas se rapprocher de plus en plus. Son coeur avait repris sa folle danse. Il retenait son souffle, anxieux de voir de qui il s’agissait. Dans tous les cas, il allait avoir l’air coupable. Il ne savait pas bien cacher ses émotions, et tout se lisait sur son visage. Ce n’était pas une bonne chose pour un voleur, mais bon. Dans ses plans, habituellement, il n’était pas censé se faire prendre, et donc il n’avait pas besoin de dissimuler son méfait. Dans ce qui était prévu, il fuyait. Il s’en sortait. Il ne parlait à personne, personne ne l’arrêtait. Dans cette situation, il allait sans doute avoir à répondre de ses actes. Tout à ses pensées, il ne fit plus trop attention aux pas. Quand il revint à la réalité, les pas semblaient avoir cessé. La personne s’était-elle arrêtée ? Que s’était-il passé ? Il était tellement tête en l’air qu’il en avait oublié de s’intéresser à la situation actuelle, celle qui allait peut-être très mal se finir pour lui. Écoutant à nouveau les bruits de la rue, il n’entendit plus les pas. La personne avait sans doute continué son chemin. Et lui qui avait cru être pris ! Quel idiot ! C’était stupide ! Il prit son sac de pommes de terres et il sortit de la ruelle, l’air nonchalant. Mais il le perdit bien vite car il se cogna dans quelque chose. Un cri de douleur se fit entendre. Non, c’était plutôt quelqu’un. Il tomba au sol, et son précieux sac chuta aussi. Le souffle coupé par la chute, il tenta pour la deuxième fois en vingt minutes de reprendre son souffle. Décidément ! Il entendit la personne qu’il avait bousculé faire de même. Après ce qui lui parut être des heures, il releva la tête, et une main tendue entra dans son champ de vision. La personne qui était tombée avec lui s’était déjà relevée et elle voulait l’aider à en faire autant. Il attrapa la main.
Il se sentit hissé vers le haut. Cette personne avait de la force. Il fut remis sur ses pieds en quelques secondes. La main ne le lâcha pas. Il vit alors de qui il s’agissait. C’était un homme assez grand, d’âge moyen, richement vêtu. Ce devait être un de ces miliardaires qui cherchaient des enfants à adopter. L’inconnu lui souriait gentiment. Ah non, il ne l’aurait pas ! Et ses frères et soeurs non plus ! Ils ne seraient pas séparés ! Il n’eut pas le temps de dévoiler ses pensées à l’homme et ce dernier n’eut pas davantage le temps de dire quoi que ce soit, car le marchand lésé arrivait à grands pas dans la rue. Il vociférait. Il arriva à leur hauteur et il arracha le sac de pommes de terres des mains du garçon :
– Petit vaurien ! Rends le moi !
L’inconnu n’avait pas bougé. Il semblait évaluer la scène qui se déroulait sous ses yeux. Il parut comprendre assez vite de quoi parlait le commerçant. Il s’interposa entre le garçon et le nouveau venu. Il déclara qu’il était désolé, qu’il avait perdu son fils de vue pendant quelques minutes, et qu’il allait payer pour les pommes de terres et les éventuels dégâts matériels. Lorsqu’il le vit, le marchand se calma instantanément. Ah, le pouvoir qu’avait l’argent par ici ! Ceux qui n’en avaient pas s’attiraient des ennuis et ceux qui en avaient étaient les rois des lieux. Quel monde injuste ! Le marchand devint tout sucre tout miel envers le riche monsieur. On aurait dit qu’il avait oublié le petit voleur. Il faisait presque des courbettes. Le voyant faire, le garçon en était écœuré. Tout s’arrangea très vite : le monsieur riche paya pour les pommes de terres et même un peu plus « pour le désagrément ». Pendant tout ce temps, le garçon était derrière lui. Le marchand n’avait pas vu son visage. Tant mieux. Il y avait au moins quelque chose de positif dans cette histoire. Puis le monsieur le pris par l’épaule, lui donnant le sac de pommes de terres et un deuxième qu’il avait acheté en plus au marchand. Ils s’éloignèrent du commerçant. De dos, on aurait peut-être dit un père et son fils. Mais de face, leurs habits montraient qu’ils n’étaient pas du même monde. C’était incroyable que le marchand ait cru à ce tissus de mensonges. Mais bon, l’argent rendait aveugle, non ? Lorsqu’ils se furent suffisamment éloignés, l’homme lâcha son épaule. Le garçon le fusilla du regard :
– Je n’avais pas besoin de votre aide ! Je sais ce que vous faites ici, et vous ne m’aurez pas. J’arrive à m’en sortir seul. Si vous ne vous étiez pas trouvé sur mon chemin, tout se serait bien passé. Alors n’essayez pas de m’acheter en faisant preuve de bonté.
L’homme leva ses mains devant lui en signe de défense :
– Je ne cherchais pas à t’acheter. Je t’ai simplement sorti de la situation périlleuse dans laquelle tu étais. Et j’admets avoir joué un rôle là dedans. Si je n’avais pas été là, effectivement, tu aurais pu t’enfuir ou bien rester caché. Je suis désolé. Tu vas bien, au fait ? Tu ne t’es pas fait mal en tombant ?
Le garçon l’ignora, occupé à poser le deuxième sac de pommes de terre aux pieds de l’inconnu. Il déclara :
– J’ai l’habitude. Tenez, prenez votre sac. Vous me l’avez fait porter jusqu’ici, maintenant reprenez le.
L’homme lui dit qu’il l’avait acheté pour qu’il puisse en avoir deux, qu’il le lui donnait. Le garçon refusa tout net. Ses frères et soeurs faisaient peut-être la manche, mais il ne voulait rien recevoir de ce bonhomme riche qui distribuait ses billets à tout le monde. Il partit en courant, entendant à nouveau le bruit de ses propres pas contre le bitume. Seulement les siens. L’homme ne l’avait pas suivi. Il prit beaucoup de détours et il finit par arriver dans leur refuge. L’endroit était tout délabré, mais c’était chez eux. Il trouvait sa soeur Céleste dans le coin qui leur servait de cuisine. Son frère Anthony, dit Tony, était toujours dehors. Il posa les pommes de terre sur la planche de bois qui leur servait de table. Il espérait ne jamais revoir le riche monsieur. Il se mit à cuisiner. Sa soeur l’aida en chantonnant. Quand vient l’heure du repas, Tony n’était toujours pas rentré. Cela commençait à devenir inquiétant. Il n’arrêtait pas de faire des allées et venues entre leur petite cuisine et l’entrée du refuge. Sa soeur finit par lui dire :
– Eliot ! Calme toi ! Il va revenir ! Que t’est-il arrivé, aujourd’hui ? Tu as l’air nerveux. Tu as eu les pommes de terre, non ? Alors pourquoi cette humeur bizarre ?
Elle le pressa de question, ayant sans doute senti qu’il lui cachait quelque chose. A contrecoeur, il lui narra sa rencontre avec l’homme. Il aurait voulu ne pas lui raconter ce qu’il lui était arrivé car elle n’avait pas le même avis que lui sur ces riches parents adoptifs potentiels. Pour elle, c’était une chance de partir d’ici. Un véritable miracle. Et elle avait sans doute raison, mais ces gens ne lui inspiraient pas confiance. Et puis si un tel miracle arrivait et quelqu’un s’intéressait à eux, ils allaient forcément être séparés. Les familles voulaient souvent un enfant unique. En tout cas, si l’occasion se présentait, il était sûr que Céleste dirait oui, et sans hésiter. Elle voulait le délivrer du poids que Tony et elle représentaient pour lui selon elle. Il ne voyait pas du tout les choses comme ça. Ils étaient une famille, une famille pas très grande ni très riche, mais une famille unie. Il ne voulait pas les perdre. Il lui raconta donc la façon dont la situation avait presque tourné au cauchemar. L’arrivée de l’homme avait tout fait empirer, puis il avait tout arrangé avec son argent et un mensonge aussi gros que son compte en banque. Céleste eut l’air contente et elle lui demanda ce qui le rendait nerveux, ne comprenant pas ses angoisses. Il allait répondre, quand tout à coup, il entendit quelqu’un arriver. Quelqu’un qui marchait bien plus lourdement que son jeune frère sur les graviers qui entouraient leur refuge. Sa soeur se figea. Ils n’attendaient personne à part Tony, et ce n’était pas Tony, alors qui était-ce ?
Chapitre 3
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