Zéro (Série lettres : 26/26)

Un zéro. C’était ce qu’il était. On le lui avait bien fait comprendre toute sa vie. Zéro, c’était le pourcentage de chance qu’il avait dans sa vie. Zéro, c’était la note qu’il obtenait en moyenne à chaque contrôle à l’école. Zéro, c’était également le nombre d’amis qu’il s’était fait à l’école depuis qu’il était arrivé ici trois ans auparavant. Zéro personnes le soutenaient. Zéro était aussi le pourcentage de confiance qu’il avait en lui. Zéro était son chiffre.

Zéro. Zéro. Zéro. C’était un mot qui représentait bien son existence. Personne ne l’avait jamais encouragé.

Et puis un jour, il rencontra quelqu’un qui le sauva. Cette personne croyait en lui, pour une fois. Il n’était plus un zéro, il était devenu beaucoup plus que ça.

Yeux (Série lettres : 25/26)

Elle ne parvenait pas à s’endormir. Ses parents ne le savaient pas, mais elle avait regardé un film d’horreur en cachette, et elle y pensait encore. Elle voyait encore toutes les scènes affreuse. Cela s’était gravé dans sa mémoire. Surtout ces yeux, ces grands yeux jaunes terrifiants… Elle ne les oublierait pas de sitôt, ceux-là…

Elle se retourna dans son lit. Le sommeil ne venait pas, il n’y avait rien à faire. Elle n’aurait pas dû le regarder, ce film. Chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle les revoyait. Ces yeux horribles. Elle ne parvenait pas à s’effacer ces images de la tête.

Elle crut entendre un bruit. Elle se raidit, enfouissant sa tête sous l’oreiller. Il ne se passa rien. Elle ressortit de sous l’oreiller, scrutant l’obscurité. Elle ne vit rien, bien sûr. Elle se sentait épiée. La boule au ventre, elle se recroquevilla sur son lit. Elle tremblait.

Plus jamais elle ne regarderait de films d’horreur, promis.

Xanthophobie (Série lettres : 24/26)

Xanthophobie : peur de la couleur jaune

Il souffrait de xanthophobie, autrement dit, il avait une peur phobique de la couleur jaune. Tous les objets ou êtres vivants de cette couleur, quoi que ce soit, lui inspiraient une peur irrationnelle et il manquait chaque fois de s’évanouir. Les choses repoussantes pour lui étaient donc, parmi les plus agaçantes : le soleil, les objets jaunes qui apparaissaient de manière aléatoire dans sa vie, ou même les fruits jaunes.

C’était assez difficile de vivre avec cette phobie, puisque comme le nom « phobie » l’indiquait, c’était purement et simplement incontrôlable. Son collègue avait acheté un nouveau mug jaune ? Il manquait de faire un malaise, la panique le prenait, et il frissonnait comme s’il avait de la fièvre. Le simple fait de voir le soleil lui était insupportable. Et il haïssait les voitures de la poste, même s’il aimait bien commander des choses sur internet.

Il avait donc décidé d’aller voir un médecin et de prendre un traitement qui l’aiderait à vivre normalement en dépit du fait qu’il avait cette étrange phobie. Etrange, oui, car chaque fois qu’il en parlait, les gens lui riaient au nez. Personne ne le croyait, cela paraissait trop absurde à leurs yeux. C’était pourtant une vraie phobie, il ne simulait pas ! Mais comme elle était absurde, elle était classée dans le même panier que les phobies des horloges ou du bruit.

Les gens ne savaient visiblement pas l’horreur qu’il vivait au quotidien. Certains jours, il passait son temps à avoir peur et à faire des malaises car la couleur jaune se trouvait vraiment partout au tour de lui. Dans ces moments-là, il avait l’impression de se noyer dans le jaune, au sens propre. Et comme personne ne le croyait, personne n’avait cessé d’apporter des objets jaunes ne serait-ce qu’au bureau, où les collègues auraient pu être plus compréhensifs.

Wi-fi (Série lettres : 23/26)

Ce départ en vacances s’annonçait bien : la petite famille n’avait pas encore embarqué dans la voiture, que les problèmes s’enchaînent déjà. Ils n’étaient pourtant que quatre, les parents, le grand père et le fils. On aurait dit un départ digne d’une famille de dix personne (et ces familles avaient d’ailleurs sûrement l’habitude, s’organisant bien mieux et n’ayant pas tous ces problèmes de dernière minute).

Le père avait envie d’emporter la maison entière, seulement la voiture avait ses limites. Il n’en finissait pas. Il sortait chaque fois une valise de plus, et la mère se demandait d’où il la sortait, car elle ne se rappelait absolument pas l’avoir vue quelque part dans la maison auparavant. Il chargeait aussi la voiture de toujours plus de nourriture pour midi, mais ils n’étaient que quatre, pas cinquante. Il en mettait peut-être un peu trop. Mais selon lui, il fallait être prévoyants. Si jamais il arrivait quelque chose, ils ne mourraient pas de faim, au moins.

La mère époussetait sa voiture en râlant parce que le père n’avait de cesse d’apporter des valises.

Le fils râlait parce qu’il avait entendu que c’était un jour rouge sur la route, il n’arrêtait pas de répéter qu’il fallait mieux ne pas partir aujourd’hui.

Le grand père se plaignait qu’il n’y avait déjà plus de Wi-fi, et comment allait-il pouvoir appeler ses amis, maintenant ?

Vaporiser (Série lettres : 22/26)

Aujourd’hui, il avait prévu d’aller voir son ami. Apparemment, l’ami en question avait trouvé un objet amusant qu’il voulait lui montrer. Il avait un chien depuis peu. Mais l’objet pouvait aussi être en rapport avec les jeux vidéos, car son ami adorait y jouer jusqu’à pas d’heure.

Il partit donc chez son ami, curieux de voir ce qu’il avait encore trouvé. Il avait un peu l’habitude des objets drôles ou inutiles que ce dernier s’amusait à trouver sur internet, alors chaque fois qu’il voulait lui montrer quelque chose, il était toujours intéressé.

Lorsque son ami lui ouvrit la porte de sa maison, il souriait. Il devait avoir trouvé quelque chose de très étrange ou amusant. Il lui faisait confiance sur ce point. Tous les objets qu’il avait vus jusqu’ici ne l’avaient absolument pas déçu. Son ami le mena vers le salon. Etait-ce un objet grand ou petit ? Etait-ce un nouveau jeu ? Un ustensile de cuisine un peu bizarre, peut-être ?

Honnêtement, il fut très déçu en voyant l’objet que lui présenta son ami. Il s’agissait d’un produit à vaporiser sous les pattes des chiens pour éviter qu’ils glissent en concours… C’était étrangement inintéressant et cela paraissait parfaitement inutile par rapport aux autres objets qu’il avait vus.

Univers (Série lettres : 21/26)

C’était un petit univers que personne ne connaissait encore. Un univers isolé. Un univers violet. Non, vraiment, c’était bien un univers avec un ciel violet. Les arbres étaient violets aussi. La mer avait une teinte de violet plus claire, virant parfois sur un bleu qui se confondait avec le violet. Et puis ce devait être la réverbération de tout ce violet. La mer était peut-être bleue, après tout.

L’air sentait le caramel, comme si quelqu’un avait versé du caramel sur le monde, et comme si ce dernier avait agi comme une sorte de cuvette, ayant retenu l’odeur de l’aliment.

La mer des autres univers permettait en principe d’avoir un goût salé sur les lèvres au bout d’un moment, mais cette mer-là apportait un goût étrangement caramélisé sur les lèvres, comme si c’était un résidu du caramel qui avait supposément atterri sur ce monde.

Les éléments de ce monde étaient aussi élastiques que du caramel. Les arbres violets étaient étirables, on aurait dit de gros bonbons plantés dans le sol. Les maisons étaient faites de la même matière.

Il n’y avait aucun son. Personne n’avais jamais rien entendu dans cet univers. C’était comme un film muet, mais en violet au lieu d’être en noir et blanc.

Les habitants étaient violets, ils sentaient le caramel, et ils étaient muets. Peut-être mangeaient-ils du caramel comme repas ? En tout cas, il n’y avait aucun dentiste, alors l’espèce devait avoir évolué de manière à pouvoir manger beaucoup de caramels sans devoir s’inquiéter des caries.

Trottoir (Série lettres : 20/26)

Sur le trottoir, toutes sortes de personnes se promenaient. Et ce n’étaient pratiquement jamais les mêmes. Ils changeaient aussi selon les heures, les jours ou les saisons. Quand il faisait soleil, beaucoup de gens passaient en souriant, le beau temps a l’avantage de remonter le moral. Quand il pleuvait, d’autant plus quand c’était un lundi matin, tout le monde faisait grise mine et peu de personnes s’aventuraient sur le trottoir.

Quand il neigeait, c’était une toute autre histoire. Le monde devenait blanc, et les passants laissaient des traces avec leurs chaussures en marchant dans la neige. Ceux qui n’étaient pas amusés par le temps passaient très vite, le nez dans leur téléphone, ou bien perdus dans leurs pensées, alors que les enfants prenaient le temps de s’arrêter, de regarder la neige l’air émerveillés, de se lancer des boules de neiges dessus et de courir sur le trottoir. Parfois, ils tombaient sur le trottoir, ayant glissé sur une neige où tout le monde avait marché et qui était devenue une sorte de boue où tout le monde glissait aisément. Les passants pressés glissaient aussi parfois sur la neige fondue. Ils ne trouvaient pas ça drôle, eux. Et ces derniers recevaient parfois des boules de neige de la part des enfants cachés quelque part dans les buissons.

Un trottoir dans une petite ou une grande rue n’était pas le même. Dans une petite rue, il était vide de tout passant à presque tout moment de la journée, sauf quand des riverains l’empruntaient. Dans une grande rue, c’était différent. Près d’une école, par exemple, il était envahi aux heures d’entrée et de sortie. Même chose près des bureaux.

Stress (Série lettres : 19/26)

Stress. Rien que le mot la faisait réagir. Il la faisait stresser, se remémorer tous les moments où elle avait pu stresser. Elle se souvenait de chaque oral, de chaque contrôle, de chaque effondrement émotionnel.

Chaque fois, sa respiration devenait saccadée, un mal de ventre se réveillait, son coeur battait très fort, la panique s’installait. Elle se noyait dans son angoisse, coulant comme une pierre dans son anxiété, ne pouvant pas remonter à la surface une fois qu’elle était trop stressée.

Stress. C’était comme si une montagne avait surgi de la terre et s’était mise entre elle et son esprit. Elle ne pouvait tout simplement plus communiquer avec lui.

Stress. Des sables mouvants auraient fait le même effet qu’un oral, en terme de niveau de stress.

Elle gérait généralement son stress en n’y pensant pas. Elle évitait de penser à l’oral jusqu’à ce qu’elle soit à cinq minutes à peine de l’oral en question.

Stress. Elle avait failli s’évanouir, une fois qu’elle avait laissé le stress monter bien trop haut.

Rugueux (Série lettres : 18/26)

C’était arrivé très brusquement. Il n’aurait pas pu le prévoir. Aucun des deux n’aurait pu le prévoir. C’était à un croisement. Il n’y avait aucune visibilité. Il n’aurait pas pu l’éviter.

Quand il était petit, son premier contact avec la route avait été de toucher l’asphalte du bout de ses doigts. Il était allé le faire directement en la voyant, comme si une force inconnue l’avait poussé à le faire. Il avait donc touché le bitume, avait un peu raclé ses doigts contre et avait aussitôt grimacé : ce n’était pas du tout doux au toucher comme il l’avait initialement cru. Mais alors pas du tout. C’était plutôt dur, désagréable, et surtout bien rugueux.

Il avait demandé à sa mère si ça faisait mal de tomber là dessus. Il savait que dans les parcs de jeu, le sol était fait pour que les enfants ne se fassent pas aussi mal que sur du goudron en tombant si jamais ils chutaient. Sa mère avait répondu que oui, ça faisait mal. Surtout à grande vitesse. Elle lui avait expliqué que parfois, les adultes qui conduisaient les voitures avaient des accidents, il leur arrivait de faire des erreurs. Et parfois, ils se blessaient, surtout ceux qui étaient à moto ou à vélo, car ils étaient moins bien protégés que les automobilistes. Mais les conducteurs de voitures avaient aussi des accidents graves, parfois.

Il avait retenu qu’il fallait faire attention en conduisant. Il s’était promis de devenir un bon conducteur et de ne pas se faire mal, de ne pas faire du mal aux autres en les faisant tomber sur la drôle de matière rugueuse.

Alors qu’il tombait, il repensa à cette explication que lui avait donné sa mère, et à la promesse qu’il s’était faite à lui même il y a bien longtemps. Il allait la briser, là, à l’instant même. Il s’excusa mentalement vis à vis de son moi du passé, tombant de son vélo et s’écorchant les genoux sur l’asphalte rugueux.

Voulant se rattraper, il ressentit une vive douleur dans tout son bras quand ce dernier entra violemment en contact avec le sol. Il tapa aussi de la tête contre le bitume, et le monde devint flou. Lorsque son corps cessa de tomber, il avait mal partout, il ne pouvait plus bouger. Il se rendit compte que quelqu’un lui secouait l’épaule en hurlant quelque chose. La voix de la personne s’éloigna encore un peu plus, et il se laissa emporter par l’inconscience, épuisé. Il ferma les yeux.

Quad (Série lettres : 17/26)

Elle l’avait enfin acheté, et elle en était fière ! Elle avait économisé pour ça pendant des mois, et elle ressortait actuellement du garage où elle venait de l’acheter. Son rêve s’était réalisé ! Elle y pensait depuis qu’elle était petite. Elle s’était promis de s’en acheter un, mais cela avait toujours été un souhait futur, quelque chose de très vague, peut-être même quelque chose d’un peu irréalisable au moment où elle l’avait formulé.

Mais aujourd’hui, ce n’était plus un simple rêve. C’était devenu une réalité. Et elle n’en croyait pas ses yeux. Elle avait un quad ! Elle pouvait faire ce qu’elle voulait ! Bon, pas en ville, puisqu’apparemment il fallait une autorisation spéciale pour rouler dans une ville en quad. Mais elle pouvait voyager en quad ! Elle se mit à échafauder des plans de plus en plus irréalisables. Elle avait rapporté le quad chez elle, dans une remorque.

Au bout d’un moment, elle revint à des plans un peu plus réalistes et elle appela sa meilleure amie, lui proposant de faire un road trip pas prévu avec elle. Cette dernière accepta sans hésiter. Elles se connaissaient depuis longtemps et il leur arrivait souvent d’être impulsives. Elles se suivaient l’une l’autre dans leurs idées, et généralement, aucune des deux ne disait à l’autre que son idée était trop bizarre ou folle.

Elles partirent donc quelques heures après. Elles étaient en vacances, elles faisaient ce qu’elles voulaient. Les cheveux au vent, elles partaient à travers le pays, libres comme l’air.